Beschreibung:

Auguste RODIN (1840-1917) Femme nue se coiffant, vers 1890-1896 Graphite et aquarelle sur papier vélin. 32 x 25,5 cm Provenance : Collection Maurice Fenaille. Par descendance. Un certificat de Madame Christina Buley-Uribe sera remis à l’acquéreur «Dans les années 1890, après une décennie de travail sur sa Porte de l’Enfer et une production abondante de dessins d’imagination d’après Dante, Rodin se tourne vers l’observation directe du nu féminin. Il réalise alors des centaines de dessins de modèles déambulant le plus naturellement possible dans son atelier, ce qui lui permet de saisir « une infinité de gestes jamais vus, toujours négligés, et il apparut que les forces expressives qui en émanaient étaient immenses. » (Rilke). Rodin travaille sans idée préconçue, exploitant les points de vue qu’offre spontanément le modèle. « Il demande à ses modèles une espèce de présence animale et de paradis en mouvement sans la contrainte de la pose : « Ne faites pas semblant de vous coiffer ; coiffez-vous » disait-il. Rodin procède dès lors, toujours, en deux temps : sur une page de carnet il exécute d’abord un croquis rapide, sans regarder sa feuille, les yeux en permanence posés sur son modèle. Il en résulte un dessin « instantané » dont il se sert ultérieurement comme d’une matrice. Dans un deuxième temps, en effet, il décalque la figure sur des papiers de qualité plus épais, en épurant les lignes, en la simplifiant ou en la complétant au besoin, et en la redéfinissant à l’aquarelle. La méthode qu’il invente alors à partir du modèle libre de ses mouvements, lui permet de réaliser à la fois un dessin vibrant et maîtrisé. Maurice Fenaille (1855-1937), grand collectionneur et mécène de Rodin, dont il collectionne les dessins très tôt, ne s’y trompe pas lorsqu’il acquiert ce puissant dessin de Femme nue se coiffant. Conservé avec soin dans la famille depuis, il a gardé toute sa fraîcheur. En 1897, Fenaille finance la publication de l’Album Goupil dit Fenaille, un ensemble de reproductions de luxe de dessins « noirs » de Rodin inspirés de la Divine Comédie. Il se peut que notre dessin fasse partie des nus féminins de la production plus récente de Rodin. On comprend le processus créatif qui a permis la réalisation de notre dessin à partir d’un premier jet conservé au musée Rodin. Il s’agit du verso d’un croquis de Femme nue debout aux cheveux dénoués (H. 23, 5 x L. 18, 5) dont on perçoit la rapidité d’exécution, « à l’aveugle » (D 2814). Rodin a transposé le dessin assez sommaire de son modèle se coiffant en le recentrant dans une feuille de plus grand format de manière plus ou moins fidèle. On remarque que l’admirable profil de jeune femme, déjà saisi dans le dessin préparatoire, est soigneusement repris dans le dessin de Fenaille ; et les jambes coupées par le bord de la feuille (D. 2814 verso) sont redessinées telles quelles dans le dessin définitif, laissant les jambes comme inachevées. Dans le même esprit, les lignes dédoublées du bras et du ventre, sont exécutées à la manière depentimenti, ce qui donne l’impression d’une parfaite spontanéité du geste de l’artiste, comme s’il s’agissait d’un croquis rapide exécuté sur le vif. La chevelure, désormais bouclée et abondante au point d’atteindre le haut de la cuisse, est devenue ici, avec le pubis, le principal sujet du dessin : les deux sont délicatement rehaussés d’une aquarelle légèrement bleutée. On sait que Rodin n’exposera ses dessins que quelques années plus tard, frappant durablement toute une génération d’artistes tels que Klee, Matisse ou Picasso. Écoutons le peintre belge Henri Evenepoel en découvrant en 1899 un dessin semblable chez Georges Clemenceau, qui le décrit ainsi : « Je le trouve très curieux ! Il est assez lâché, fait au trait du bout du crayon : un nu de femme qui se penche, avec la tache des cheveux et des génitaux indiquée brutalement à l’aquarelle ! Pour le vulgaire ce n’est rien, mais j’y sens admirable de la vie, de la chair. » Christina Buley-Uribe, Octobre 2022