Françoise GILOT (Paris 1921) Portrait de femme Huile sur toile d'origine 18 x 14 cm Signé sur le côté gauche F. Gilot "Le patron arriva, c’était Jean Souverbie bien au large dans un confortable costume de tweed un peu déformé par l’usage, une cigarette à demi consumée vissée au coin des lèvres, les mains dans les poches. Son regard lent mais pénétrant cachait son activité sous une feinte paresse. Méthodiquement mais avec une certaine nonchalance, il allait de l’un à l’autre s’ intéressant à chacun en particulier, ne répétait jamais deux fois le même conseil. Par les bribes de conversation qui me parvenaient, je compris avec soulagement qu’il n’était pas question de prendre les mesures en clignant de l’oeil, le crayon brandi à bout de bras, ni de se servir du fil à plomb. Il fallait découvrir l’origine du mouvement, regarder avant même de dessiner. Souvent il saisissait le crayon ou les pinceaux d’un élève et, à même la toile ou la feuille de papier il faisait un croquis rapide au lieu d’un commentaire. Plus il approchait de l’endroit où je me trouvais, mieux j’entendais les critiques ou les compliments qu’il adressait aux uns et aux autres. Je commençais à redouter et à espérer le moment où il critiquerait mon travail. Lorsqu’il fut en face de mon chevalet, il regarda mon dessin avec une certaine surprise : « Je n’ai pas encore vu cela ici, dit- il. Qui fait çà ? » Comme je me tenais légèrement en retrait j’avançai un peu. Il m’aperçût, me regarda : « Vous êtes nouvelle, il me semble. Pouvez-vous définir ce qu’est le dessin, à votre avis ? » Je ne puis m’empêcher de lancer : « Eh bien moi Monsieur, je ne vois pas les ombres, la lumière me suffit. » Un certain nombre de rires fusèrent et ce fut mon dernier jour dans cet atelier là. Intimidée je bredouillais. Voyant mon air déconcerté, il sourit et repris : « Pour dessiner, il suffit de savoir que tout ce qui n’est pas droit est rond. Ensuite vous observez le modèle en gardant à l’esprit ce simple principe. Sachez choisir. C’est à vous d’éluder ce que vous ne pouvez retenir. Il insista : « Ce que vous faites n’est pas mal. Vous devez affirmer la forme avec force, sans oublier que le trait s’interrompt pour laisser passer la lumière … » Françoise GILOT Le regard et son masque, Paris, de 1944-1945, (p118 – 119) Provenance: Famille Souverbie Nous remercions Madame Françoise Gilot de nous avoir confirmé l'authenticité de cette œuvre, datable vers 1944- 1945 et qui sera répertoriée dans ses archives.
Françoise GILOT (Paris 1921) Portrait de femme Huile sur toile d'origine 18 x 14 cm Signé sur le côté gauche F. Gilot "Le patron arriva, c’était Jean Souverbie bien au large dans un confortable costume de tweed un peu déformé par l’usage, une cigarette à demi consumée vissée au coin des lèvres, les mains dans les poches. Son regard lent mais pénétrant cachait son activité sous une feinte paresse. Méthodiquement mais avec une certaine nonchalance, il allait de l’un à l’autre s’ intéressant à chacun en particulier, ne répétait jamais deux fois le même conseil. Par les bribes de conversation qui me parvenaient, je compris avec soulagement qu’il n’était pas question de prendre les mesures en clignant de l’oeil, le crayon brandi à bout de bras, ni de se servir du fil à plomb. Il fallait découvrir l’origine du mouvement, regarder avant même de dessiner. Souvent il saisissait le crayon ou les pinceaux d’un élève et, à même la toile ou la feuille de papier il faisait un croquis rapide au lieu d’un commentaire. Plus il approchait de l’endroit où je me trouvais, mieux j’entendais les critiques ou les compliments qu’il adressait aux uns et aux autres. Je commençais à redouter et à espérer le moment où il critiquerait mon travail. Lorsqu’il fut en face de mon chevalet, il regarda mon dessin avec une certaine surprise : « Je n’ai pas encore vu cela ici, dit- il. Qui fait çà ? » Comme je me tenais légèrement en retrait j’avançai un peu. Il m’aperçût, me regarda : « Vous êtes nouvelle, il me semble. Pouvez-vous définir ce qu’est le dessin, à votre avis ? » Je ne puis m’empêcher de lancer : « Eh bien moi Monsieur, je ne vois pas les ombres, la lumière me suffit. » Un certain nombre de rires fusèrent et ce fut mon dernier jour dans cet atelier là. Intimidée je bredouillais. Voyant mon air déconcerté, il sourit et repris : « Pour dessiner, il suffit de savoir que tout ce qui n’est pas droit est rond. Ensuite vous observez le modèle en gardant à l’esprit ce simple principe. Sachez choisir. C’est à vous d’éluder ce que vous ne pouvez retenir. Il insista : « Ce que vous faites n’est pas mal. Vous devez affirmer la forme avec force, sans oublier que le trait s’interrompt pour laisser passer la lumière … » Françoise GILOT Le regard et son masque, Paris, de 1944-1945, (p118 – 119) Provenance: Famille Souverbie Nous remercions Madame Françoise Gilot de nous avoir confirmé l'authenticité de cette œuvre, datable vers 1944- 1945 et qui sera répertoriée dans ses archives.
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