Beschreibung:

L.A.S. «André Gide», Cuverville 5 juillet [1902], à Robert SCHEFFER ; 5 pages petit in-4 (légères traces d'onglet et de pliage). Remarquable commentaire de son roman L'Immoraliste. Gide remercie Scheffer (qui vient de publier dans La Plume du 1er juillet 1902 un élogieux article sur L'Immoraliste) : «Vous racontez parfaitement le livre ; vous tracez à souhait l'évolution de mon héros, en marquez fort bien les étapes, le moment (en particulier) “où la vie physique et la vie intellectuelle s'équilibrent en lui”, le plateau, puis aussitôt après, la “vie physique” l'emportant, par élan acquis». Il se justifie des reproches qu'on lui a adressés d'avoir fait son héros malade, puis rectifie un propos de Scheffer : “la littérature, le consolant...etc.” ; non : je ne pense pas que Michel puisse jamais écrire. Sa chaleur, vous le sentez bien, n'est qu'ardeur ; elle brûle sans réchauffer ; les mots se friperaient sous sa plume. Croyez bien cher Scheffer que ce n'est que parce que je ne suis pas Michel, que j'ai pu raconter son histoire aussi “remarquablement bien” que vous le dites. - Mais cela vous le savez, et le Je, que je me suis trouvé contraint d'employer, ne trompera que les imbéciles qui ont besoin, à la fin d'un René qu'un Chactas vienne leur montrer que : si René est dans Chateaubriant, Chateaubriant n'est pas tout entier dans René, non plus que Benjamin Constant tout dans Adolphe, non plus que Gœthe tout dans Werther». Il reconnaît cependant qu'il y a en lui un peu de son héros, mais est ainsi amené à définir la littérature : «Que de bourgeons nous portons en nous, cher Scheffer ! qui n'éclosent jamais que dans nos livres ! Ce sont les “œils dormants” dont nous parlent les botanistes ; - mais si, par volonté, on les supprime tous, sauf un, comme cet un croît aussitôt ! et comme il s'individualise ! - Pour créer un “héros” ma recette est bien simple : prendre un de ces bourgeons ; le mettre en pot ; tout seul ; on arrivera bientôt à un individu admirable. Conseil : choisir de préférence (s'il est vrai qu'on puisse choisir) le bourgeon qui vous gêne le plus. On s'en défait du même coup. C'est peut-être là ce qu'appelait Aristote : la purgation des passions. Purgeons-nous, cher Scheffer ! purgeonsnous ! Il en reste toujours assez»