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[BRILLAT-SAVARIN, Jean Anthelme (1755-1826)].
Physiologie du goût, ou Méditations de gastronomie transcendante ; ouvrage théorique, historique, et à l'ordre du jour, dédié aux gastronomes parisiens, par un professeur, membre de plusieurs sociétés littéraires et savantes. Paris : A. Sautelet et Cie, 1826.
Édition originale, publiée anonymement, tirée à 500 exemplaires aux frais de l'auteur : exemplaire de premier état, avec la lettre E du mot Bourse placée horizontalement dans l'adresse de l'éditeur sur la page de titre du premier tome.
Né à Belley dans l'Ain, Brillat-Savarin manifesta dès ses débuts des talents multiples. Il fut tour à tour avocat, musicien, homme politique, économiste. En 1793, pour échapper à la Terreur, il s'enfuit en Amérique où il devint premier violon de l'Opéra de New York. Il accepta tous les régimes qui se succédèrent. Aucune révolution, a-t-on dit, ne devait troubler sa digestion. De retour en France en 1796, l'aimable épicurien, humaniste de surcroît, siégea à la Cour de cassation. Il est présent à toutes les pages de la Physiologie par ses souvenirs, ses réflexions morales, ses citations latines et ses préceptes.
Le bréviaire de la gastronomie. L'auteur passe d'une théorie de la friture à une histoire de la cuisine, de l'anecdote à des aphorismes bien frappés, tout droit hérités de Vauvenargues et de Chamfort :
- Convier quelqu'un, c'est se charger de son bonheur pendant tout le temps qu'il est sous notre toît.
- On devient cuisinier, mais on naît rôtisseur.
- La découverte d'un mets nouveau fait plus pour le bonheur du genre humain que la découverte d'une étoile.
- Un dessert sans fromage est une belle à qui il manque un œil.
- Les animaux se repaissent ; l'homme mange ; l'homme d'esprit seul sait manger.
En appendice aux Méditations (Les Méditations de Lamartine datent de 1820), les Variétés offrent quelques recettes de cuisine pour faire bonne mesure : œufs brouillés au fromage (la fondue), l'omelette au thon, le faisan étoffé ou le turbot cuit à la vapeur. Enthousiaste, Balzac releva d'emblée la saveur du style : “Aucun prosateur n'a pas pu donner à la phrase française un relief aussi vigoureux.” Et Roland Barthes de souligner la “modernité” de la langue. Sous couvert d'une “ironie de science” l'œuvre dévoile les ressorts des plaisirs de la bouche tout en affirmant la jouissance d'une langue, à la lettre gourmande.
Précieux exemplaire en fine reliure décorée de l'époque, enrichi d'un envoi autographe de l'auteur :
“Offert par l'auteur a Son
ami M. Bailli [sic] doyen
de la cour de Cassation.”
Provenance émouvante : elle témoigne d'une amitié d'autant plus réciproque que les deux magistrats avaient survécu tant bien que mal aux soubresauts de la Révolution. Nicolas Bailly (1749-1832), membre du Tribunal de cassation sous la Terreur et l'Empire, ne fut pas inquiété sous la Restauration qui lui conserva ses fonctions, le promut commandeur de la Légion d'honneur et le créa baron en 1829.
Annoncé dans la Bibliographie de la France du 10 décembre 1825, la Physiologie du goût vit le jour en janvier 1826. Le 4 février, on enterrait Brillat-Savarin au Père-Lachaise. Son ami de Sèze, président de la Cour de cassation, lui avait rappelé que son absence à la cérémonie expiatoire de la mort de LouisXVI serait remarquée par le roi Charles X. Le 21 janvier, il prit froid sous les voûtes de la basilique Saint-Denis. On diagnostiqua une pneumonie ; il n'était plus question de s'inquiéter de la promotion de l'ouvrage, dont 7 exemplaires seulement portent un ex-dono à l'adresse de ses proches.
On joint à l'exemplaire 2 lettres autographes signées :
- La première est adressée à M. Guillaud, lieutenant d'artillerie à Besançon (Paris, 29 juin 1817).
- La seconde est adressée "au citoyen Seyeies (sic), président du sénat conservateur": Versailles, le 15 nivose an VIII (5 janvier 1800); 1p. in-4. Brillat sollicite le président du Sénat en vue de reprendre sa place au sein du Tribunal de cassation : "Ne faut-il pas que le sort des premiers amis de la liberté se consolide enfin? Salut et respect. BS ex constituant".
Rahir, Bibliothèque de l'amateur, p. 346 ; Pivot, La Bibliothèque idéale, 1988, p. 564 (“C'est le seul classique de la table que l'on voit classé avec la littérature”) ; Vicaire, 116-117 ; Carteret, Le Trésor du bibliophile romantique et moderne I, 1924, p. 148 ; Cagle, 98 ; Heirs of Hippocates, 1990, n° 1128.
2 tomes reliés en un volume in-8 (197 x 122 mm). (T. I : pâle trace de mouillure en pied de la table ; t. II : tache brune marginale à 3 ff. du cahier 15 et petit manque angulaire aux ff. 245-6). Reliure de l’époque : veau raciné, dos lisse orné de larges fleurons et rehaussés d'un jeu de filets et de roulettes dorés, pièces de titre et de tomaison de maroquin rouge, tranches bicolores : rouge pour le tome I, jonquille pour le tome II.
Provenance : Nicolas Bailly (1749-1832), membre du Tribunal de cassation sous la Terreur et l'Empire ; André Lefèvre (1883-1963), banquier et bienfaiteur des musées, ce fin lettré avait réuni une bibliothèque de littérature française moderne de grande classe. Sa collection de 400 tableaux offrait cinquante-deux œuvres de Picasso (cat. I, 1964, n° 134) ; Martin et Bernard Breslauer (Catalogue 100, Londres, 1969, n° 86 : “M. André Simon, doyen of cookery book connaisseurs assures us that he has never seen another presentation copy in his long experience, stretching back to the beginning of this century.”) ; Otto Schäfer (1912-2000), industriel allemand, est l'un des grands bibliophiles de son siècle (cachet ; cat. II, Londres, 1995, n° 46).
First edition, this copy inscribed by the author to Nicolas Bailly and enriched with 2 autograph letters signed, in a fine calf period binding.